Pratiquer loin des grands centres? Diversifiée, conviviale et créative, la pratique en région fait des adeptes chez les jeunes médecins en quête de défis.
Au départ, plusieurs ont quitté la ville pour mieux y revenir. Dans l’intention de faire leur stage à La Sarre, Mont-Laurier ou Trois-Rivières pour ensuite travailler à Montréal, Québec ou Sherbrooke. Mais par un heureux tour du destin, ces «expats» de la médecine familiale ont fini par prendre racine dans leur terre d’adoption.
Nous en avons rencontré quatre qui tirent parti de leur nouvelle vie.
Un monde de possibilités
La Dre Chantal Charbonneau a fait le grand saut il y a 12 ans. Montréalaise d’origine, elle a plié bagage pour compléter sa résidence à La Sarre, en Abitibi. «J’avais le goût de sortir de la ville pour aller voir ce qui se faisait ailleurs. Mon plan, c’était de rester en région quelques années et de rentrer après», confesse-t-elle. Depuis, la médecin de famille a été nommée directrice du groupe de médecine de famille universitaire (GMF-U) de La Sarre et vit avec son conjoint lasarrois et leurs deux enfants.
Ce qui l’a retenue là-bas, outre son prince charmant et sa famille? L’aspect convivial de la pratique en petites équipes et la relation de proximité avec les spécialistes. «Ils sont très ouverts, très aidants. Je ne voyais pas comment j’allais retrouver ça en milieu urbain», dit la chargée d’enseignement de clinique de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.
Partie de Mirabel pour Mont-Laurier en 2015, la Dre Alexandra Dubé dirige elle aussi le GMF-U de sa ville d’adoption et forme la relève au sein du Département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’UdeM.
La médecine familiale en région nous donne plus de responsabilités, ce qui nous force à être imaginatifs dans nos soins et à ajuster notre pratique en fonction des ressources disponibles. Avant d’envoyer un patient passer un test dans un grand centre à deux heures de route, on va essayer de proposer une solution de rechange.— Dre Alexandra Dubé
Les spécialistes étant moins nombreux en région, les jeunes médecins doivent prendre en charge les patients de A à Z ou presque. Ils acquièrent ainsi une expérience diversifiée et des compétences dans plusieurs domaines. «Nos stagiaires sont exposés à toutes sortes de situations cliniques, c’est certainement une des forces de nos milieux de formation», soutient la Dre Dubé.
Le Dr Pierre-Luc Dazé, originaire de Varennes, sur la rive-sud de Montréal, se souvient encore de ses stages chirurgicaux à l’hôpital de Trois-Rivières. «J’avais les deux mains dans l’intestin du patient à tenir l’écarteur. Pour les accouchements, c’est moi qui sortais le bébé. Pour une aorte rompue, j’étais premier assistant du chirurgien vasculaire», raconte le médecin de famille qui pratique aujourd’hui au service des urgences du Centre hospitalier affilié universitaire régional de Trois-Rivières, où il supervise les stagiaires.
«La vie est belle en région»
Une maison loin des voisins, pas de trafic soir et matin, une nature foisonnante et du plein air à profusion. Sur les plans personnel comme professionnel, les villages offrent une belle qualité de vie. «Mont-Laurier cochait tous nos critères: j’habite à cinq minutes de la clinique et j’entends le chant des oiseaux», sourit Alexandra Dubé.
Ce qu’elle aime aussi, c’est s’imprégner de l’âme de la communauté, connaître les habitudes des gens, leurs passe-temps – et tout ce qui peut causer des blessures, tels la chasse ou le travail à l’usine.
Quand on habite un petit milieu, on croise les patients au quotidien, on jase avec eux à l’épicerie, à l’école, au parc. Cette proximité crée des liens de confiance privilégiés.— Dre Alexandra Dubé
Les journées «grande séduction» connaissent d’ailleurs beaucoup de succès auprès des nouvelles cohortes enclines au bien-être, au plein air et à la vie au ralenti. «Les externes et les résidents que je reçois sont curieux de découvrir notre style de vie. Ici comme ailleurs, la communauté est tissée serrée; c’est facile d’accueillir les nouveaux venus et de les mettre à l’aise», dit la Dre Dubé.
Dur, dur de recruter
Il n’empêche, la communauté a beau être accueillante, le décor idyllique et les occasions d’apprentissage multiples, une réalité demeure: l’éloignement. Pour les aspirantes et aspirants médecins qui, en grande majorité, sont formés dans les centres urbains, s’expatrier à Sept-Îles, Matagami ou Paspébiac représente tout un changement de vie. Loin de leur famille et de leurs amis, ils doivent en outre composer avec un marché de l’emploi limité pour leur conjoint ou conjointe. De sorte qu’il y a pas mal de mouvement dans les milieux de soins; les gens s’installent, puis repartent.
Dans notre réseau, nous avons plus de mal à combler les places de résidence en région. Le grand défi, c’est d’augmenter l’attractivité de la médecine de famille et de la médecine de famille en région.— Nathalie Caire Fon, directrice du Département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’Université de Montréal
Pour pallier la situation, le ministère de la Santé et des Services sociaux a d’ailleurs annoncé en juin la création d’un comité de travail sur les stratégies de promotion de la médecine familiale.
Des membres de la Faculté de médecine de l’UdeM y prennent part afin de désigner les facteurs qui influencent les choix de résidence et de proposer des pistes de solution pour valoriser la médecine de famille et la rendre plus attrayante auprès des futurs médecins, en ville comme en région. Les orientations du comité serviront de base à l’élaboration d’un plan d’action.
«C’est important de partager à la table les préoccupations de nos étudiantes et étudiants et de trouver des pistes de solution communes», commente la Dre Tania Riendeau, directrice des programmes de médecine de famille à la Faculté de médecine de l’Université.
Salon des externes, visibilité accrue des professeurs en région, mise sur pied d’initiatives locales comme l’externat longitudinal intégré en Mauricie et maintenant en Abitibi… La Faculté de médecine déploie aussi maints efforts pour promouvoir la pratique dans les petites communautés. Mais la meilleure façon de recruter des médecins en région et de les retenir, c’est de les former dans ces milieux mêmes, avance la Dre Caire Fon.
C’est prouvé, les médecins qui font leur stage en région auront tendance à s’y installer [voir l’encadré]. D’où l’importance de soutenir les centres de formation délocalisés pour offrir des soins dans l’ensemble du territoire.— Dre Nathalie Caire Fon
Un succès nommé Mauricie
Il y a 20 ans, la Mauricie figurait au dernier rang des régions sociosanitaires en ce qui a trait au nombre de médecins par habitant. Située à proximité de trois grands centres – Montréal, Québec, Sherbrooke –, Trois-Rivières faisait piètre figure en matière de recrutement.
La création du campus de l’Université de Montréal en Mauricie, en 2004, a changé la donne. «Avec les premières cohortes, la région est remontée rapidement dans le classement. Depuis 10 ans, les diplômés sont plus nombreux à postuler qu’il y a de postes à pourvoir», se réjouit Pierre-Luc Dazé, finissant de la promotion de l’an un et adjoint académique à la vice-doyenne associée du campus.
Ce qui fait pencher la balance en faveur de Trois-Rivières, selon lui? L’accès privilégié aux patrons.
À Montréal, les stages d’externat reposent sur une pyramide d’enseignement – patron, résidents séniors, résidents juniors, externes. En Mauricie, c’est un patron, un externe.— Dr Pierre-Luc Dazé
Sa consœur Jessica Garneau, médecin de famille au GMF-U de Trois-Rivières, abonde dans le même sens. Trifluvienne d’origine, elle a choisi de faire partie de la deuxième cohorte du campus de la Mauricie. «J’ai voulu rester dans mon milieu pour redonner à ma région. Le centre hospitalier universitaire est comme une grande famille. Les patrons sont motivés à enseigner parce qu’ils veulent garder leurs stagiaires. Ils forment leurs futurs collègues», indique-t-elle.
À l’aube des 20 ans du campus de l’Université de Montréal en Mauricie, Pierre-Luc Dazé lui offre ses meilleurs vœux de «santé, bonheur et prospérité», comme il le ferait pour un être cher. «Un campus en santé, ça veut dire avoir suffisamment de ressources pour continuer à se développer et à faire de l’enseignement de qualité en région. Parce qu’en fin de compte, c’est gagnant pour tout le monde», conclut-il.
Campus de la Mauricie: que sont nos diplômées et diplômés devenus?
À ce jour, le campus de l’Université de Montréal en Mauricie compte 309 finissantes et finissants en médecine, dont 224 pratiquent en médecine de famille. Des 76 diplômées et diplômés qui sont de retour en Mauricie et dans les environs, 59 ont choisi la médecine de famille.
*Données en date du 17 janvier 2022.
Source: udemnouvelles