C’est l’un de ces drames secrets de la pandémie de COVID. L’une de ces histoires qui auraient pu être évitées si nous avions été collectivement mieux préparés. “Pendant le confinement, mon épouse Diane Guénette est tombée gravement malade du cancer et a dû être hospitalisée à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, nous raconte Jacques Guénette d’une voix grave qui trahit son émotion. Mais à cause des règles sanitaires, les proches aidants comme moi n’avaient pas le droit de pénétrer à l’intérieur de l’hôpital. Je n’ai donc pas pu être aux côtés de ma femme pendant cette épreuve… Elle était seule, alors qu’elle vivait un traitement qu’on peine à imaginer dans une société civilisée comme la nôtre… Je me sentais totalement impuissant. »

Face à ce dysfonctionnement qu’il a vécu comme une décision administrative aberrante, Jacques Guénette aurait pu sombrer dans l’amertume. Mais les plus beaux gestes puisent parfois leur origine dans des circonstances traumatisantes. “Mon épouse est finalement décédée plus tard, en 2022, poursuit son mari. En sa mémoire, on a alors créé la Fondation Famille Guénette dans laquelle on a décidé de prioriser le soutien aux initiatives novatrices qui valorisent le rôle des proches aidants. Pour que l’expérience terrible vécue par Diane ne se reproduise jamais plus.”

Dans cette optique, la Fondation vient de faire un don de 700 000 $ à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Son objectif? Créer le Fonds Diane Guénette pour appuyer le projet novateur de Nicolas Fernandez – chercheur et professeur agrégé au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence – qui travaille à intégrer et valoriser la proche aidance au sein des équipes hospitalières.

Élargir le concept de patient partenaire

L’idée d’inclure les pairs aidants dans le système médical vient de loin. Elle s’inscrit dans la continuité de l’approche patient partenaire développée par la Faculté de médecine de l’Université de Montréal au début des années 2000 et qui prévaut désormais dans tous les hôpitaux du Québec. Rappelons-en l’idée-force: le patient n’est plus seulement considéré comme un malade à traiter, mais comme une personne habilitée à faire des choix pour sa propre santé et à partager son savoir expérientiel aux équipes soignantes. Dans cette perspective, le proche aidant ou la proche aidante devient son soutien premier, une épaule sur laquelle il peut s’appuyer, un relais qui lui permet d’élargir le partenariat qui le lie avec le personnel hospitalier.

Ce fonds vise à reconnaître, valoriser et même développer ce rôle essentiel – mais trop souvent négligé – dans le parcours de soins. Pour les patients, c’est l’assurance de disposer d’une personne à leurs côtés; pour les proches aidants, c’est la possibilité de recevoir une formation adaptée aux réalités hospitalières; pour l’équipe soignante, c’est un point d’appui supplémentaire qui peut la décharger de certains soins non-médicaux et fluidifier la relation aux patients. Tout le monde y gagne.

Nicolas Fernandez, professeur agrégé au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence, chercheur Centre de recherche en pédagogie de la santé.

Former, intégrer, humaniser

“Les proches aidants sont la dernière pièce du puzzle pour donner du pouvoir aux patients, confirme Ludmila Rozmiret, co-cheffe de la Fondation Famille Guénette. Ce projet de recherche du professeur Fernandez va permettre d’humaniser les soins. Son approche, c’est d’avancer pas à pas, d’abord en incluant des proches aidants à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM), en observant les résultats, en produisant ensuite de la documentation pour les former, puis finalement en démontrant que changer le système de santé et le bien-être des patients passe forcément par-là.”

Dans le détail, ce fonds va permettre aux équipes du professeur Fernandez de créer des outils pédagogiques pour les proche-aidants (capsules vidéo, guides, manuels…), de favoriser et baliser leur intégration en tant que membre à part entière de l’équipe de soins, de développer un système de santé en amélioration continue et de renforcer les coopérations internationales en intégrant les meilleures pratiques venues d’ailleurs. C’est ainsi, grâce à ce mélange de volontarisme et d’actions concrètes, de soutien philanthropique et d’expertise médicale, que la société québécoise bâtira un système de santé plus humain où soignants, patients et proches aidants travailleront main dans la main. Une vision englobante de la santé qui fait évidemment écho aux grandes lignes du pilier 3 de L’heure est brave (Assurer la santé de la planète, des humains et des animaux).

Apprendre de ses erreurs

Pour en arriver là, il aura fallu – comme souvent – qu’un donateur passe de l’indignation à la générosité. Un cheminement pas si évident à emprunter, mais qui peut devenir un puissant levier. « Les règles sanitaires ont pris le pas sur tout, c’était normal et en même temps inhumain, mais je sais que rien n’est plus difficile que de prendre des décisions dans l’inconnu, reconnait aujourd’hui Jacques Guénette à propos de cette période pandémique. En tant que directeur d’entreprise, j’ai dû fermer notre bâtisse au complet et remercier des gens. Nous aussi, nous avons suscité de la colère; nous aussi, nous avons été accusés de surréagir; et pourtant, nous aussi étions de bonne foi, exactement comme ceux qui ont exclu les proches aidants des hôpitaux… La seule chose qu’on puisse faire désormais, c’est se préparer autrement pour la prochaine fois.”

Apprenons de nos erreurs: c’est au fond le message que Jacques Guénette cherche à envoyer en soutenant ce projet. Le monde va devenir de plus en plus instable, il y aura d’autres surprises, d’autres pandémies, il faut donc fixer dès à présent les règles et les encadrements adéquats pour que, plus tard, nous fassions mieux en tant que société. C’est l’objectif avoué de ce programme: en positionnant les personnes proches aidantes comme éléments à part entière du système, en les formant adéquatement aux réalités du système hospitalier, donc en faisant d’eux des atouts maîtres plutôt que de simples jokers, on s’assure que plus jamais ils ne pourront être retirés du jeu.

“La bonne nouvelle, c’est que le système de santé est prêt, se réjouit le président de la Fondation Famille Guénette. L’approche patient partenaire est dans tous les hôpitaux. On constate une grande ouverture du personnel hospitalier à propos du projet que nous portons. Quant à l’UdeM, c’est une université qui pose des jalons pour l’avenir.” Or l’avenir du système de soin, ce n’est pas que l’IA – c’est aussi l’humain.