Un café avec… la Dre Geneviève Dechêne
Mourir à la maison entouré de ses proches, c’est le souhait de bien des gens malades ou vieillissants. Il n’y a pourtant que 1 Québécois sur 10 qui le réalise. La Dre Geneviève Dechêne veut changer cela. Elle en a fait le combat de sa vie.
« Tu vas faire des visites à domicile, la jeune ! » C’est avec ces mots que deux médecins d’expérience ont accueilli Geneviève Dechêne, 24 ans, fraîchement diplômée en médecine au début des années 1980.
« J’étais à la recherche d’un endroit à Montréal où on aurait vraiment besoin de mes services », confie-t-elle. Elle a atterri dans Verdun, un quartier qui n’avait pas grand chose à voir avec l’arrondissement embourgeoisé qu’on connaît aujourd’hui. Et elle n’est jamais repartie.
La Dre Dechêne est honnête : au début de sa pratique, elle ne connaissait pas grand-chose aux soins palliatifs à domicile. « Je ne savais pas comment détecter et traiter les souffrances, avoue-t-elle. J’ai appris immensément des infirmières de CLSC et des infirmières de Nova soins à domicile, un organisme infirmier spécialisé en soins palliatifs. »
L’élève a très bien appris. Aujourd’hui, la Dre Dechêne est devenue une référence dans le domaine. On l’appelle de partout pour avoir ses conseils. Il arrive même que des familles qui n’ont pas accès aux soins palliatifs à domicile dans leur région louent un appartement à Verdun pour que leur parent malade ait droit à ses bons soins et à ceux de son équipe.
« Ce que j’aime en médecine, c’est la personne », lance la Dre Dechêne qui nous reçoit dans sa grande cuisine ensoleillée. « Ça paraît simplet de dire ça, mais ce qui m’intéresse, ce n’est pas votre maladie, c’est la personne que vous êtes qui souffre d’une maladie.
À la veille de prendre sa retraite, la dynamique sexagénaire aimerait bien que les Québécois critiquent le fait que les soins palliatifs à domicile ne sont pas offerts partout dans la province.
Vous savez que dans le reste du Canada, environ 30 % des gens meurent à la maison ? Même chose en Europe, entre 25 et 45 % ! Il n’y a qu’au Québec que le taux est aussi bas, autour de 10 ou 11 %. C’est à un point tel que les sociologues se penchent sur cette différence !
La Dre Geneviève Dechêne
Ce n’est pas tout le monde qui souhaite mourir chez soi, et heureusement, il existe des maisons et des unités de soins palliatifs pour les accueillir. « Mais quand il y a une équipe médicale palliative à domicile, il y a 65 % moins d’hospitalisations », insiste la Dre Dechêne.
Une solution à bien des maux
Cette médecin d’expérience est convaincue que les soins palliatifs à domicile peuvent régler une partie des problèmes d’engorgement dans les urgences ainsi que l’accès aux médecins de famille.
Mais alors, qu’est-ce qu’on attend ?
« Pendant une quinzaine d’années, j’ai été seule au CLSC de Verdun pour les soins palliatifs à domicile parce que pendant des années, mon syndicat, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), a décidé de ne pas encourager les visites à domicile, qui sont disparues de la pratique de base des médecins de famille. Notre rémunération était devenue punitive. C’était deux fois plus payant d’être au chaud dans son bureau que sur la route pour voir les patients. »
Au fil des ans, raconte-t-elle, ses confrères et consœurs sont allés travailler à l’hôpital. Alors qu’ailleurs au Canada, les médecins de famille consacrent entre 15 et 18 % de leurs heures travaillées à l’hôpital, « au Québec c’est autour de 40 % », souligne la Dre Dechêne.
« Nous sommes devenus des hospitalistes ! », s’indigne l’omnipraticienne, précisant qu’un médecin de famille qui travaille à l’hôpital sera absent une semaine sur deux ou une semaine sur trois de son bureau. « C’est du temps qu’il ne prend pas pour voir ses patients ! »
Pour désengorger les urgences
Il y a 15 ans, la Dre Dechêne a donc créé une équipe de soins palliatifs et intensifs à domicile à Verdun. En 2015, avec son équipe, elle a publié les résultats d’une étude sur l’impact de ces soins dans la revue Le médecin de famille canadien. « On démontrait que si les médecins provenaient de l’hôpital, le taux de décès à domicile demeurait à 11 % plutôt qu’à 65 % si les médecins travaillaient dans le CLSC avec les autres professionnels de soins à domicile. »
Or, quand les 12 derniers mois de vie se passent à la maison avec une équipe médicale 24 heures, cela coûte – êtes-vous bien assise ? – 50 % moins cher qu’à l’hôpital !
La Dre Geneviève Dechêne
« Mieux encore, poursuit-elle, s’il y avait des équipes médicales intensives à domicile, c’est le quart des lits des urgences majeures qui pourraient être libérés. Et tout ça à coût nul pour la société ! »
Tout ce qu’il manque pour que ce service soit offert à l’ensemble des Québécois, ce sont des médecins, affirme la Dre Dechêne. « Le réseau des CLSC est installé depuis 40 ans, il ne manque qu’eux. Il faut que le médecin soit DANS le CLSC, avec les infirmières à domicile et avec les infirmières de soins palliatifs à domicile. »
Les plus malades des malades
La femme qui est assise devant moi est passionnée par son travail, ça se sent. Mais elle est également animée par un sentiment d’injustice. « Souvent, le Ministère va vous dire : on n’a pas besoin de médecins, il y a des infirmières en soins palliatifs… C’est faux ! Les infirmières ont besoin d’avoir accès à un médecin 24 heures sur 24 pour changer la médication d’un patient. Sans médecin, l’infirmière doit le mettre dans une ambulance, elle ne le laissera pas crier de douleur. »
Si vous voulez faire fâcher Geneviève Dechêne, dites-lui que les jeunes médecins ne veulent plus travailler autant que leurs aînés, et qu’ils ne seront sans doute pas intéressés par des visites à domicile. « J’ai commencé à recruter des jeunes médecins en leur disant : « Aimerais-tu faire un travail très utile pour la société, humainement très touchant, aussi difficile médicalement parlant qu’à l’hôpital, mais payé la moitié de l’hôpital ? » Eh bien, 14 jeunes médecins se sont joints à moi ! Alors si vous entendez un vieux docteur de ma génération dire que les jeunes ne travaillent pas… Je me retiens d’être impolie et de dire ce que je pense. Parce que ces jeunes femmes-là, elles travaillent plus fort que je n’ai jamais travaillé ! »
Des médecins débordés
Sans surprise, la lettre de la fille d’Andrée Simard publiée dans nos pages en janvier dernier a fait fortement réagir la Dre Dechêne (la veuve de Robert Bourassa est morte au Centre hospitalier de St. Mary dans d’affreuses souffrances, sans accès à la sédation palliative).
« Voilà une dame qui était à l’hôpital, là où on ne devrait pas manquer de médecins en soins palliatifs, observe la Dre Dechêne. Or il en manque là aussi. Depuis 2018, dans plusieurs milieux, les soins palliatifs médicaux sont bloqués. Chaque fois qu’un médecin prend sa retraite, on n’arrive pas à le remplacer. »
La Dre Dechêne ne cache pas son inquiétude. « Depuis quatre ou cinq ans, on restreint les postes de médecins et d’infirmières en soins palliatifs, alors que la population québécoise est la septième population parmi les plus vieilles au monde et la population qui vieillit le plus vite en Amérique du Nord. »
L’omnipraticienne m’assure qu’elle n’est pas du tout dans un discours « le médecin est roi ». Elle ne dit pas qu’il faut des médecins partout. « Pas du tout ! répète-t-elle. Ce que je dis, c’est que le noyau de base de l’équipe en soins à domicile, c’est le duo infirmière-médecin. Et ensuite il y a les physiothérapeutes, les ergothérapeutes, les nutritionnistes, etc. »
On ne sait pas exactement tout ce qui s’est passé dans le cas de Mme Simard, mais de manière générale, Geneviève Dechêne observe que les rares médecins en soins palliatifs s’épuisent. « Il y a une fabuleuse équipe au Centre hospitalier de St. Mary. Ils travaillent jour et nuit. Mais ils ne sont pas assez nombreux. Regardez le modèle de soins palliatifs ontarien. Il y a suffisamment de médecins en soins palliatifs dans un hôpital pour couvrir tous les patients en fin de vie de l’hôpital, y compris ceux des soins intensifs. »
Qu’est-ce qu’on attend pour améliorer l’offre de soins palliatifs partout au Québec ? C’est la discussion que la Dre Dechêne veut lancer. Espérons que son message sera entendu.
Questionnaire sans filtre
Le café et moi : Je dois 40 belles années au café ! C’est ce qui m’a permis de faire le travail que j’ai fait et d’élever trois enfants. Mais il y a cinq ans, j’ai développé une gastrite et j’ai dû arrêter pendant plusieurs mois, un sevrage douloureux. Maintenant, je bois des cafés au lait avec un café instantané dépourvu d’acidité. Ça ne goûte pas bon du tout…
Des personnes que je réunirais pour un repas : Ma famille. J’ai trois grands enfants, et comme toute mère, je les trouve formidables. Ma fille aînée est enseignante de français au secondaire dans une école défavorisée, mon plus jeune fils est travailleur social à domicile auprès des familles avec des enfants autistes et déficients intellectuels, et celui du milieu est interniste dans les Laurentides, il s’occupe de patients gravement malades avec des gardes à n’en plus finir. Avec ma sœur [la sénatrice Julie Miville-Dechêne] qui est passionnante et qui nous nourrit d’histoires extraordinaires. Et mon frère qui vit à côté et ma sœur qui vit à cinq minutes en auto. J’ai la chance de pouvoir manger avec eux et de les écouter.
Une lecture que je recommande : Le site Palli-Science dont je suis la directrice scientifique et qui offre gratuitement, grâce à la contribution de la maison Victor-Gadbois, de l’information et des ressources en ligne sur les soins palliatifs.
Une activité pour décompresser : Je fais partie de la société d’horticulture de Verdun, j’ai un jardin de 150 pieds. C’est une activité que j’adore parce que tout le monde – enfants, petits-enfants, frère, sœur – y participe. C’est à côté du travail. Quand je finis mes visites à domicile, je vais au jardin.
Qui est Geneviève Dechêne ?
- Médecin de l’équipe médicale de soins intensifs à domicile (SIAD) du CLSC de Verdun
- Directrice scientifique de Palli-Science et membre du conseil d’administration de Nova soins à domicile
Source : La Presse